Sois mince et tais-toi !

Je passe un temps fou au contact des femmes. Mais attention, ce n’est pas ce que vous êtes en train d’imaginer, bande de vilains pervers ! J’évolue tout simplement dans un milieu professionnel où la clientèle est composée à 90% de créatures oestrogénées. Par conséquent, exit la bière et le foot, et place à des problématiques plus féminines. En tête de liste, on trouve évidemment la minceur qui est de très loin la préoccupation première de ces dames dans mon secteur d’activité. Je serais mal avisé de critiquer cet état d’esprit, puisque c’est en grande partie ma capacité à faire perdre du poids qui justifie mes émoluments scandaleux. Cependant, j’assiste depuis quelques temps à la montée en puissance de dérives inquiétantes. Alors les filles, je crois qu’une mise au point s’impose.

Portraits chinois

Pour illustrer mes propos, voici 3 rencontres qui m’ont particulièrement marqué. Pour des raisons de confidentialité, les prénoms utilisés sont factices.

  • Léa

Lorsque Léa me consulte pour la première fois, elle est âgée d’à peine 20 ans.

« Je ne comprends pas », me dit-elle.  » Depuis 8 mois, je suis tous les jours des cours collectifs dans une salle de fitness. Non seulement je n’ai pas perdu un gramme, mais pire, j’ai bien l’impression d’avoir grossi. Notamment autour du ventre et de la taille. Alors je voudrais que tu me conçoives un programme d’entraînement supplémentaire afin d’accélérer les résultats. »

Avant d’envisager quoi que ce soit, je soumets toujours un questionnaire de plus d’une centaine de questions aux personnes que je reçois en rendez-vous. Disons le franchement, l’entretien est parfois tendu car il est très intrusif. Mode de vie, nutrition, digestion, sommeil, libido, tout y passe ! Je conçois parfaitement qu’il soit difficile de raconter certains détails d’ordre privé à un parfait inconnu…

Cependant, il m’est absolument indispensable de comprendre au préalable les causes racines d’un problème si je veux espérer pouvoir le résoudre. Et 9 fois sur 10, les réponses au questionnaire donnent des indications fiables sur les problématiques qui sont en jeu. En ce qui concerne Léa, c’est son sommeil qui me met la puce à l’oreille. Elle se plaint depuis plusieurs mois de réveils chroniques au beau milieu de la nuit.

Ce cas de figure, très courant dans le milieu sportif, est souvent révélateur d’un état de surentraînement. Lorsque le volume d’activité physique dépasse les capacités de récupération, la sécrétion de cortisol explose. Or, le cortisol en excès :

  1. Dégrade la masse musculaire, entraînant une diminution du métabolisme basal (nombres de calories brûlées au repos) (1)
  2. Engendre l’apparition d’une fatigue chronique  (2)
  3. Accroît l’appétit, entraînant une hausse inconsciente de la consommation calorique journalière (3)
  4. Gêne la production d’enzymes et d’hormones indispensables au brûlage des graisses (4, 5, 6,7)
  5. Relocalise les graisses de réserve autour de l’abdomen (8)
  6. Perturbe le sommeil et occasionne des réveils prématurés entre 2h et 5h du matin.

A défaut de « plan d’entraînement supplémentaire », j’ai recommandé un arrêt immédiat de la pratique sportive ainsi qu’une supplémentation temporaire en magnésium. Même après avoir stoppé toute activité physique, il a fallu plusieurs mois à Léa pour retrouver un cycle de sommeil correct. Vous trouvez normal qu’une jeune femme de 20 ans ait à souffrir de ce genre de désagréments ? Moi non.

  • Béatrice

Béatrice a 35 ans et se plaint d’un physique trop déséquilibré à son goût. Elle présente effectivement un faible taux de masse adipeuse sur le haut du corps, tandis que l’essentiel de ses graisses de réserve est concentré autour de ses cuisses et de ses fessiers. Béatrice a par ailleurs à son actif un lourd passif de régimes en tout genre : hypocalorique, végétarien, vegan, faible en graisses, hyperprotéiné, sans glucides…

Mais aussi nombreuses qu’aient été ses tentatives, elles n’ont jamais donné le résultat escompté.

Pour autant, cette dernière ne semble pas découragée, puisqu’elle me sollicite pour l’élaboration d’une nouvelle stratégie alimentaire. Par ailleurs, elle souhaite connaître les meilleurs exercices pour faire « fondre la graisse sur ses membres inférieurs ».

Après analyse de sa situation, je tente d’expliquer à Béatrice que :

  1. Entraîner un groupe musculaire ne fait pas fondre massivement la graisse qui le recouvre. L’exercice améliore la vascularisation et la sensibilité à l’insuline des tissus, ce qui peut entraîner une petite perte adipeuse localisée. Une perte toutefois si anecdotique qu’elle sera probablement imperceptible à l’œil nu chez la plupart des gens.
  2. Les zones de stockages tenaces sont révélatrices des déséquilibres hormonaux d’une personne. L’accumulation de tissus graisseux sur les cuisses et les fessiers étant le signe d’une perturbation du ratio estrogènes/progestérone (9). Différentes hypothèses sont alors envisageables :
  • Un taux d’œstrogènes trop élevé
  • Un taux de progestérone trop faible
  • Des taux simultanés d’œstrogènes et de progestérone trop bas
  • Un taux de progestérone correct mais négativement affecté par une hypothyroïdie

Ce dernier point est intéressant car la prévalence de l’hypothyroïdie est élevée chez la population féminine des sociétés occidentales. De surcroît, elle peut être encore aggravée par le suivi régulier de régimes. Les plus destructeurs pour la thyroïde étant peut-être ceux à la fois faibles en glucides et en calories. C’est pourquoi, au vu de ses expériences précédentes et de la récurrence de son problème, j’ai conseillé à Béatrice de consulter prioritairement un bon endocrinologue plutôt qu’un coach sportif.

C’est peu de dire que mon argumentaire ne l’a pas convaincue, puisque mes suggestions ont été rejetées et qu’elle a mis fin immédiatement à notre collaboration.

Je tiens à préciser que je n’ai pas la prétention de penser que tout ce que j’avance est à 100% exact. Je suis d’ailleurs toujours ravi d’apprendre la réussite de projets auxquels je n’avais pas cru. Toutefois, aux dernières nouvelles, Béatrice continue d’errer de coachs en coachs et de régimes en régimes, sans succès.

  • Sandrine

Sandrine est une femme admirable d’une cinquantaine d’années. J’insiste sur le terme « admirable », car elle a dû élever seule ses deux filles tout en faisant face à de nombreux problèmes de santé. En effet, de multiples cancers ont entraîné l’ablation de ses deux seins ainsi que d’une partie de ses ovaires. En dépit de toutes ces épreuves, Sandrine est restée une femme soucieuse de son apparence. Elle fait donc du sport et surveille de près son alimentation. D’un peu trop près peut-être, puisqu’elle se nourrit presque exclusivement de légumes et de viande blanche.

Ceci n’est pas étonnant, car Sandrine est issue de la génération « sans gras ». Les recommandations nutritionnelles officielles de cette époque abondaient toutes dans le sens d’une restriction drastique de la consommation de lipides. Ces derniers étaient accusés d’être trop riches en calories et de favoriser l’apparition du surpoids et des maladies cardio-vasculaires. On sait aujourd’hui que ces conseils ont probablement contribué à l’apparition d’une myriade de problèmes métaboliques, car les graisses sont indispensables à la production d’hormones, à l’assimilation d’importantes vitamines liposolubles, ainsi qu’au bon fonctionnement du système immunitaire. 

L’historique médical de ma cliente n’incitait pas au maintien de son alimentation pauvre en graisses. J’ai néanmoins eu un mal fou à la convaincre de consommer des lipides quotidiennement. Pourquoi ? Parce qu’en dépit de tout ce qu’elle avait pu endurer, la peur de la maladie était moins forte que celle de grossir !

C’est dire à quel point cette idée de la minceur à tout prix peut être profondément incrustée dans l’esprit de certaines personnes. Mais comment leur en vouloir ? Après tout, n’est-ce pas le message diffusé en boucle par la société dans laquelle nous vivons ? La Femme serait-elle victime d’une image standardisée reposant sur des critères physiques établis par des hommes ? Sois mince et tais-toi ? C’est possible en effet. Toutefois, le nombre impressionnant d’employées féminines dans les sociétés de marketing laisse à penser que la Femme est également une louve pour la Femme.

Réinventons la minceur

Trêve de considérations philosophiques, venons-en au cœur du sujet. Cet article n’a pas été écrit dans l’optique de suggérer aux femmes de renoncer à la minceur. D’une part parce que chacun fait ce qu’il veut de son corps, et d’autre part parce que le taux record de personnes en surpoids justifie réellement que l’on reste vigilant.

En revanche, vouloir maigrir ne doit certainement pas conduire à mettre sa santé en péril. Il faut être conscient que les mécanismes de l’amaigrissement sont complexes, et que par conséquent, ils doivent être abordés avec la plus grande prudence.

Selon les dogmes en vigueur, perdre du poids serait à la portée de tout le monde. Il suffirait de diminuer sa consommation calorique pour maigrir. Mais ça fait plus de 50 ans que l’on procède de la sorte, pour les résultats calamiteux que l’on connaît !  Il serait temps d’admettre que la physiologie humaine nécessite une approche plus subtile que « manger moins et bouger plus ». 

Mincir nécessite effectivement de réussir à créer un déficit calorique, mais tout en maintenant un profil hormonal équilibré !

Dès lors, au lieu de continuer à penser la perte de poids de cette façon :

Restriction calorique  perte de poids recherche d’un métabolisme équilibré 

Je vous invite à l’aborder plutôt sous cet angle :

Obtention d’un métabolisme équilibré  apparition naturelle et inconsciente d’un déficit calorique  perte de graisse sans efforts et sans catastrophes

Il existe une très grande différence entre travailler contre sa biologie ou en accord avec elle. Dans le premier cas, vous vous exposez potentiellement à l’apparition de terribles problèmes de santé et à la dégradation progressive de votre physique. Une stratégie plus pertinente consiste donc à identifier puis à prendre en charge l’ensemble des facteurs individuels bloquant le processus de perte de graisse. A l’avenir, traitons les causes et non les symptômes.

Pour conclure, je vous laisse méditer cette phrase de la célèbre endocrinologue Diana SCHWARZBEIN : « Il faut être en bonne santé pour perdre du poids, et non perdre du poids pour être en bonne santé. »

Ayez toujours en mémoire, mesdames, que c’est en faisant n’importe quoi que l’on devient n’importe qui.

 

 

(1) Clin endocrinol (Oxf). The relationship between cortisol, muscle mass and muscle strength in older persons and the role of genetic variations in the glucocorticoid receptor. 2008 Oct;69(4):673-82. doi: 10.1111/j.1365-2265.2008.03212.x. Epub 2008 Jan 31.

(2) John C. Lowe, et al. Lower Resting Metabolic Rate and Basal Body Temperature of Fibromyalgia Patients Compared to Matched Healthy Controls. Thyroid Science 1(8):1-18, 2006

(3) Leal-Cerro A. Influence of cortisol status on leptin secretion. Pituitary. 2001 Jan-Apr;4(1-2):111-6

(4) Boudarene M, et al. Study of the stress response: role of anxiety, cortisol and DHEAs. Encephale. 2002 Mar-Apr;28(2):139-46

(5) Kaye K. Brownlee, et al. Relationship Between Circulating Cortisol and Testosterone: Influence of Physical Exercise. J Sports Sci Med. 2005 Mar; 4(1): 76–83.

(6) Tamai H, et al. Effect of Psychological Stress on Human Growth Hormone Response to Thyrotropin-Releasing Hormone in Normal Controls. Psychother Psychosom 1986;46:122–126.

(7) Mervat M El-Eshmawy, et al. (6) Relationship Between IGF-1 and Cortisol/ DHEA-S Ratio in Adult Men With Diabetic Metabolic Syndrome Versus Non-Diabetic Metabolic Syndrome. J Endocrinol Metab 10/2011; 1(4):188-195. DOI: 10.4021/jem43w.

(8) Moyer AE, et al. Stress-induced cortisol response and fat distribution in women. Obes Res. 1994 May;2(3):255-62.

(9) Gavin KM, et al. Estradiol effects on subcutaneous adipose tissue lipolysis in premenopausal women are adipose tissue depot specific and treatment dependent. Am J Physiol Endocrinol Metab. 2013 Jun 1;304(11):E1167-74. doi: 10.1152/ajpendo.00023.2013. Epub 2013 Mar 26.